Ces images brillantes, ces gens brillants, ne recouvrent que « la nuit ». Les valeurs sociales, toujours sociales, perdues de vue dans notre cheminement, qu’importe la réussite ou l’échec ? Le bonheur lui-même semble devenu un produit de propagande. Alors, alors quoi ? Se passer le mot, le mot de passe, dans un jour qui est devenu crépusculaire. Fin d’une civilisation, début d’une autre, n’est-ce pas encore rester dans la vision occidentale ? Peut-être qu’avec la fin du capitalisme, nous assistons à la véritable fin… Fin au reste laïque, prosaïque, l’Apocalypse comme Disneyland (Deleuze).
Pourquoi se battre ? Les objections sociales tombent dans la défense d’une civilisation indéfendable : la défense de cette civilisation que nous habitons n’est qu’un tic de cette civilisation : dommage pour ceux qui ont ce tic en leur for intérieur, sur l’essentiel ils ont perdu de vue l’essentiel… quoi ? La Vie…
Nous voici donc, les véritables défenseurs de la vie, dotés des attributs les moins côtés de cette société, l’épuisement, la générosité, la fermeté (les 2 vertus spinozistes). L’épuisement est nécessaire pour reconnaître l’essentiel de la vie, pour entendre la musique… Sinon on est trop pressé de vivre « soi », de partir sur des chemins déjà tout tracés pour nous ramener à la raison capitaliste. Donc les défenseurs de la vie ne sont pas très désirables selon les critères sociaux, peut-être parce qu’ils rappellent le néant sur lequel toute vie est posée, le Kapital s’engendrant lui-même.
Après, ce déferlement tranquille de mots nocturnes ne devraient pas convaincre le lecteur du côté négatif de l’existence. Ce que nous voulons, c’est éviter le côté positif social pour une autre socialité, celle-ci ayant visiblement fait son temps. De la même façon que Nietzsche ne voulait pas être immoral, mais amoral, voulait repérer sa vie sur d’autres axes que ceux que la morale avaient assignés à l’existence de tous.
« Somebody to love » : la solution en même temps que le problème. Si l’amour est une solution, il est aussi dans les actes qui ne sont pas en notre pouvoir. Alors, attendre ? Ou plutôt se rendre digne de l’amour, ce qui n’est pas se rendre digne d’être aimé (on ne l’est jamais), mais vivre en sachant que l’amour va plus loin que les vies qui nous sont proposées. De plus, on aime toujours quelqu’un déjà, même sans le savoir. L’amour n’est pas une performance, il va plus loin que toute compétence…
Les hippies, nous ne nous moquons pas d’eux, contrairement au cynisme contemporain grégairement suivi par « les gens » (c’est à dire que le cynisme contemporain donne le ton de notre époque) : penser, et donc agir, selon les lignes que le voyage et les drogues donnaient aux vies, n’était pas vain. De nombreuses nouveautés eurent lieu, dans les relations humaines, même si les hippies étaient sans cesse rattrapés par la société qu’ils essayaient de fuir (en gros, par le complexe d’Oedipe) . Et ces relations humaines transformées, renouvelées, ne sont-elles pas le principe du bonheur ? Bonheur que les drogues, en tous le cannabis, permettent d’entrevoir : relations renouvellées avec les autres, et avec le monde en général.
Que l’échec ait suivi le succès ne doit pas nous faire perdre de vue ce succès : que beaucoup soient revenus de l’Inde, du Népal, du Maroc, de l’Amérique du Sud défaits, que beaucoup soient morts « sur la route », ou autrement, que Kérouac ait toujours éprouvé le besoin de revenir chez sa mère, ne peut nous faire perdre de vue qu’avec ce grand courant de nomadisme et d’amour, quelque chose fût gagné contre la guerre, le racisme, le puritanisme, le malheur en général : « you better find somebody to love »….