Bon. Mais ne noircissons pas le tableau, on n'y verrait plus rien. C'est clair que ce qui l'a coulé, c'est le consensus. Qu'est-ce qu'il y peut, à cette ligne de pensée mouvante qui l'écarte toujours un peu plus du centre de la société, pour que d'autres n'en devient pas ? On dit : il a coulé et cette histoire elle dit : on l'a coulé. C'est à dire, c'est la faute à la société. Aussi gros, aussi con que ça. C'est con, la réalité. Surtout quand la plupart ne peuvent pas se regarder en face faire ce qu'ils font. Sinon, ils laisseraient tout tomber. La société imploserait. Et c'est à ça que ça sert, parfois, la littérature : faire imploser une société.
Il n'est pas seul à être fatigué, beaucoup le sont. Fatigués de cette consommation et fatigués de ce travail qui ne sert qu'à faire consommer plus. Je n'écris pas tout ce que je pense de la situation, ça ferait peur et ce n'est pas le but. Mais il faut que ça se colporte, ça, la haine de ce système qui nous épuise. Mais sans que ça touche les gens, juste ça, la haine du système, pas la haine des gens. Les gens n'y peuvent rien. Ils sont complices, sans doute, pour la plupart. Mais ce n'est pas une raison pour les haïr. Dans l'inconscient ils n'ont pas réussi à mettre leur soi devant les exigences de la société. Là on voit qu'on part de loin, on part de loin parce que nous n'avons pas accès à nous-mêmes. Et comme le dit Artaud : « Que chaque homme ne veuille rien considérer au-delà de sa sensibilité profonde, de son moi intime, voilà pour moi le point de vue de la Révolution intégrale. »
Et nous en étions là. Il en était là. Pourquoi raconter des histoires, pourquoi se raconter des histoires ? Il ne se passe rien, il n'y a plus que l'écran de télévision, et nos destins sont bloqués. Alors pourquoi ne pas faire de la littérature réelle, qui raconte la réalité ? Les rêves, c'est pour les midinettes, ici on dit le réel tout cru. Dans son impossibilité à devenir autre chose qu'il n'est. A ceux qui se racontent des histoires, alors que l'Histoire est gelée (Guy Debord), je voudrais faire peur. Rien qu'un homme devant une télévision, et puis c'est tout. Dans cette situation, n'y a t il pas tous la situation ? Tous les mystères du peuple qui s'est prostitué, qui n'existe plus qu'en tant que larve, que légume dont on cultive l'apathie ?
Pourquoi cette rage a détruire les histoires ? Pourquoi ne pas s'évader de ce monde tout gris ? Monde où les gouvernements disent qu'ils appliquent la seule politique possible, c'est à dire monde totalitaire ? Un jour on regardera notre époque et on la trouvera terrible. Je vous salue, peuples de l'avenir, mais sachez qu'il a fallu en passer par là, par le désespoir d'un peuple qu'on martyrise, qu'on bombarde de messages d'activités à faire, pour qu'il ne sache plus ce qu'il a à faire, pour arriver à l'avenir radieux dont vous jouissez. Sachez qu'il a fallu passer par cette impasse... Bien sûr vous le savez, peuples de l'avenir, mais que votre vigilance contre le mal qui ronge mon temps ne se lasse jamais... car oh vous qui êtes si hauts dans le bonheur, vous ne savez peut être pas ce que nous avons enduré dans l'Histoire gelée... Car quand tout semblait éteint dans l'avenir, quand les vies étaient sur des rails qui semblaient imbrisables, il a fallu des gens désespérés devant des télévisions dans le noir, et il a fallu un écrivain qui s'en rappelle, comprenne que c'était fatal et crie dans le noir...